Belle-Isle-en-Terre, hiver 1869, au Moulin de Prat-Guéguen, il pleut, de ce petit crachin breton qui n'en finit pas. Le moulin est contigu à la ferme. La cour est tranformée en véritable bourbier. Des poules picorent avec bonheur sur le tas de fumiert. Le ciel est bas. Il pleut depuis trois jours ...
Nous sommes le 5 février 1869. Maryvonne Le Roy, épouse de Guillaume Le Manach, un modeste meunier, accouche de son dixième enfant. Des 9 premiers, tous des garçons, 4 sont morts en bas âge. Dans la pièce commune en terre battue, Maryvonne, depuis de longues heures, attend
" l'heureux évènement ". Une bougie, posée sur la table de nuit, éclaire la pièce avec les flammes d'un feu de bois qui brûle dans la cheminée en donnant plus de fumée que de chaleur. Les enfants, assis autour de la table en bois massif , se disputent, en dévorant leur " quatre heures," un bol de café et une galette de blé noir.
La nuit est tombée et les évènements se précisent. ... Un charmant bébé fait son entrée dans notre monde en hurlant ... c'est une fille ! Ses frères, d'un commun accord, veulent l'appeler " Maï " (Marie en français). Maî se prononce comme " maille," la moutarde) Je précise d'ailleurs que ce mot n'est en rien le féminin de moutard . Encore que ... dans ce cas !
Maî est déclarée à la mairie sous le nom de " Marie- Louise Le Manac'h " dont on n'a pas fini d'entendre parler.
Très rapidement, Maî manifesta un grand esprit d'indépendance et une vivacité peu commune. Elle pouvait être adorable à moins que ... Elle ne parlait que breton comme toute la maisonnée et avait dit-on " la langue bien pendue ". A vrai dire, elle avait toujours le dernier mot !
A 6 ans, elle entre à 'école des filles de Belle-Isle et apprend très vite le français. Son institutrice reconnait en elle un caractère bien trempé, une intelligence rare, une volonté exceptionnelle de réussir en tout et une grande facilité de contact. Elle a laissé le souvenir d'une excellente élève sympathique mais... têtue comme une bretonne !
Le 1er juin 1885, le propriétaire du moulin de son père propose à ses parents de l'emmener aux funérailles de Victor Hugo à Paris. Il n'était pas question de refuser. Mai qui avait toujours une oreille qui traîne, était déjà au courant et bien décidée à faire ce voyage, sa première grande sortie. Un problème, elle n'avait rien à se mettre. Qu'importe, une amie plus fortunée lui prêterait des vêtements. Et notre jouvencelle troqua ses sabots de bois bourrés de paille de seigle et ses pauvres nippes contre une robe et des chaussures dignes d'une demoiselle. Maî fit sensation. Elle n'avait que 16 ans, était déjà fort jolie et le savait bien. Ce voyage à Paris fut pour elle une révélation. A son retour, elle était fermement décidée à tout faire pour sortir de son milieu campagnard.
L'année suivante, elle réussit à se faire engager à l'Hotel de la Croix Rouge, un des plus réputés de Saint Brieuc. Elle y reste un an., jusqu'au jour où, ayant économisé suffisamment, notre Rastignac en jupon décide de prendre le train et de monter à Paris. Elle n'y avait aucun point de chute... mais quand on a 17 ans, qu'on est jolie fille et qu'on sait ce qu'on veut où est le problème ?
Elle s'installe à Montmartre ayant fait la connaissances de quelques rapins qui hébergèrent notre bergère.. Son premier emploi est vendeuse de fleurs sur le trottoir (comme l'héroïne de Pygmalion). A l'occasion, elle posait comme modèle dans les ateliers de la butte. A vrai dire, ses premières années à Paris sont très floues et ne semblent pas avoir toujours emprunté les chemins de la vertu Evidemment quand on a que sa jeunesse et sa beauté à offrir .... Elle aurait fréquenté le milieu des artistes et notamment ceux des Beaux Arts. Ce qui lui attira d'ailleurs quelques ennuis.
Le 23 juin 1893, elle avait 24 ans. Elle a été condamnée à outrage public à la pudeur par le tribunal correctionnel de la Seine (une assemblée de pisse-froids ?) Que lui reprochait-on ? Unepécadille.... Elle s'était exhibée toute nue au restaurant Lemardelay ( très chic ). Il parait qu'elle aurait été présentée par des amis des Beaux Arts couchée dans le plus simple appareil sur un grand plat argenté. Vérité ou légende ? Je n'y étais malheureusement pas et ne saurais vous le dire ! C'était tout de mème, pour les juges, une singulière façon d'honorer la jeunesse et la beauté ! On n'a pas fait autant d'histoires à la Vénus de Milos qui en faisait voir tout autant mais qui avait sans doute de bonnes relations parmi les connaisseurs.
Elle ne fut d'ailleurs nullement choquée par ses deux mois d'emprisonnement qui lui apportèrent une certaine notoriété dans les milieux qu'elle fréquentait. Elle fait la connaissance de Simon Gugenheim, marchand de fruits et légumes avec qui elle se marie et qui meurt en Décembre 1900. Cet épisode ne semble pas l'avoir spécialement affectée.
Illustration : La maison où naquit Maï Le Manach.
Belle-Isle-en-Terre, hiver 1869, au Moulin de Prat-Guéguen, il pleut, de ce petit crachin breton qui n'en finit pas. Le moulin est contigu à la ferme. La cour est tranformée en véritable bourbier. Des poules picorent avec bonheur sur le tas de fumiert. Le ciel est bas. Il pleut depuis trois jours ... Nous sommes le 5 février 1869. Maryvonne Le Roy, épouse de Guillaume Le Manach, un modeste meunier, accouche de son dixième enfant. Des 9 premiers, tous des garçons, 4 sont morts en bas âge....
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