Des années ont passé. Tout ceci remonte à plus de quarante ans. Il m'arrive encore quelquefois d'y penser et de me demander quelle serait aujourd'hui mon attitude devant des situations aussi "abracadabrandesques ", comme dirait qui vous savez.
J'en avais connu d'autres. Quelques années plus tôt , alors que j'étais Représentant de la Compagnie au Ghana, En réaction à la décision de la France de faire des essais nucléaires à Reggane, dans le désert algérien, le Président N'Kruma avisa Monsieur De Guiringau, ambassadeur de France au Ghana, que , si la France mettait son projet à exécution ,trois français seraient exécutés par pendaison : le Directeur d'Air France, votre serviteur, le Directeur de la Compagnie Dreyfus et le Directeur de la CFAO. Il n'avait pas choisi du menu fretin !
L'affaire est remontée au Quai d'Orsay et , gràce aux interventions "musclées" de l'ambassadeur et du Président d'Air France, le projet fut différé sine die . C'était sans doute un vulgaire chantage de la part du Ghana mais avec ces gens là on ne sait jamais et la perspective , dans le doute, de se balancer au bout d'une corde n'avait rien de particulièrement réjouissant. Nousous avons vécu dans l'incertitude pendant un mois, jusqu'au jour où l'ambassadeur me demanda de passer à son bureau pour m'annoncer que la France avait décidé de reporter sine die le projet de Reggane et que, en conséquence, et selon toute vraisemblance, je ne serai pas pendu; Celà m'a fait très plaisir et j'en ai informé immédiatement par telex mon patron à Dakar.
Dans le fond ce ne sont que les risques du métier et l'essentiel est que celà se termine bien.
Il faut noter d'ailleursque les Directions d'Air France à l'étranger, compte tenu de leur connaissance du marché et de leurs relations, sont toujours plus ou moins dans le colimateur des polices locales . Elles sont de plus les interlocuteurs privilégiés des hommes d'affaires français et quelquefois étrangers. de passage . Cette position n'est généralement pas pour plaire pas pour plaire aux ambassades de France qui possèdent leur attaché commercial dont s'est le rôle .Ces braves fonctionnaires n'ont évidemment pas les mèmes raisons de s'intéresser à la vie économique et politique du pays, contrairement à Air France dont les résultats en dépendent. Ceci a bien souvent été à l'origine de tensions avec les ambassades de France .Ce fut le cas en Birmanie.
... mais revenons à mes problèmes avec les autorités birmane.
J'ai quitté le pays avec ma famille après avoir vendu le mobilier de la résidence de la Compagnie et mis l'agence en hibernation. Mes deux principaux collaborateurs sont dans la nature. L'archevèque, Montseigneur Bazin, m'a fait part de ses vives inquiétudes concernant son sort et m'a remis des lettres pour sa famille, et ses supérieurs au Vatican, lorsque je suis allé le saluer avant de partir. Il était très ému, m'a embrassé en me disant "Bonne chance ! ".
Quelques mois après, j'apprenais que Monseigneur Bazin avait été arrêté, mis en prison è Mandalay et affligé d'un lavage de cerveau qui l'avait laissé à l'état de plante verte. Il est rentré sur un avion d'Air France; Le chef de cabine que je connaissais m'a dit qu'il était dans un état pitoyable, ne parlait plus et tremblait continuellement..
Des années plus tard, j'étais en Algérie, patron pour l'est algérien. De passage à alger, j'allais saluer le Consul de France qui m'invita à dîner avec un groupe de journalistes dont Monsieur xxxx , correspondant du journal Le Monde, qui était déjà chargé des pays de l'est asiatique, quand j'étais en poste à Rangoon. Je le rencontrais à chacun de ses passages.
Entre la poire et le fromage, la conversation tourna autour de la Birmanie et il me posa une question qui ne manqua pas de me surprendre :
- Savez-vous ce qu'est devenu Monsieur yyyy, qui était premier sécrétaire à l'ambassade de France
de votre temps ?
- Aucune idée. D'ailleurs je n'avais aucun contact avec lui.
- Vous ignorez donc le rôle qu'il a joué dans vos ennuis avec les autorités birmanes ,
- Complètement. D'ailleurs pour moi c'est de l'histoire ancienne et l'essentiel s'est que je m'en sois
tiré sans lacher des plumes. Mais, vous éveillez ma curiosité !
- Eh bien, c'est très simple. Ce Monsieur faisait du renseignement. Pour se protéger , il s'est
arrangé à faire savoir aux autorités, par l'intermédiaire d'un ami birman, que le Directeur de la
Compagnie Air France avait des contacts avec les mouvements insurgés via son agent général, le
colonel Bo Se Kia. Les birmans qui étaient déjà sur une autre piste n'ont pas été dupes, raison
pour laquelle ils vous ont laissé partir . Par contre ils avaient réuni toutes les preuves que le premier
sécrétaire de notre ambassade était à l'origine de l'affaire qui n'était en fait qu'une une pure invention dans le but de détourner l'attention de la police. Bénéficiant de l'immunité diplomatique,
notre compatriote n'en fut pas moins expulsé en 48 heures. L'ambassadeur n'a pas moufté !
- Son attitude ne me surprend pas... mais, à l'occasion lors de votre prochain passage à Rangoon,
saluez de ma part l'ambassadeur et Germaine, sa pauvre femme, si on ne l'a pas déjà mis à la
retraite pour sénilité précoce.
Buvons cet excellent Bordeaux à la santé de nos amis birmans et qu'ils s'en sortent !.... quant à
moi, je classe ce merveilleux pays et ses habitants parmi mes meilleurs souvenirs. Evidemment,
et pour cause, je n'y reiournerai jamais et ce sera mon seul regret.
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